Christophe Petit est étudiant à Sciences Po Aix. En 3ème année à l’étranger, il a choisi l’université de Cluj, en Roumanie. Son année a pris un tournure humanitaire avec la guerre en Ukraine. Portrait :
A la gare ferroviaire de Cluj Napoca, 180 kilomètres au sud de la frontière ukrainienne, Christophe Petit attend l’arrivée d’un train de réfugiés. « C’est impressionnant, mais ce n’est pas la panique pour autant » raconte-t-il. Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, 82.000 ukrainiens sont arrivés en Roumanie au 8 mars. C’est par « esprit de groupe » que Christophe a décidé de les aider.
Christophe à Noël 2021 en France, loin de s’imaginer ce qu’il vivra deux mois plus tard
Mairie de Cluj. Photo : Christophe Petit
La nuit du 24 février, celle de l’invasion russe, Christophe est insomniaque, comme à son habitude. Il veille sans grand enthousiasme jusque trois heures et demie sur le groupe Discord qu’il partage avec des amis. Avant d’aller se coucher, il « check par réflexe » Instagram. Des chars russes viennent de passer la frontière ukrainienne. Sur des forums, les premières vidéos de frappes en Ukraine commencent à tourner. Ce qu’il croyait être « quelques escarmouches sur des postes de gardes-frontières » est en réalité une invasion de grande ampleur. « Quand tu vois quelque chose comme ça, tu te dis que c’est un évènement historique » se souvient t-il.
Pour Christophe, aider les réfugiés s’est fait naturellement, en suivant un groupe d’amis roumains. Être dans ce groupe a été un choix : « Je suis dans le pays de ma mère, j’avais une quête en tête, celle de m’intégrer complétement » confie-t-il. Les autres étudiants internationaux finissent selon lui par se fermer au pays et à la culture, et n’ont pas de suite pensé à aider les Ukrainiens. De plus, « ils sont assez stressés : lorsque la mairie a communiqué l’emplacement des abris en cas de bombardement, un étudiant étranger a demandé si ces abris résistaient à une bombe nucléaire » sourit Christophe.
Son autre motivation pour accueillir les réfugiés est religieuse. Comme 85% de la population, Christophe est orthodoxe pratiquant. Il a rapidement répondu à l’appel du chef religieux national, le patriarche Daniel. « L’Eglise aide énormément, elle reste le plus grand acteur bénévole du pays ». Les étudiants comme lui distribuent des couvertures, de la nourriture, communiquent des informations aux arrivants. « J’ai donné mon sang ce matin » ajoute Christophe.
Les premiers réfugiés arrivent de la Bucovine, une région historiquement et ethniquement roumaine. « Les ukrainiens restent des frères, il y a une sorte d’unité qui se fait entre les slaves et les roumains » explique Christophe. Régions et municipalités se sont organisées sur le tas en Roumanie, qui n’est pas un pays d’immigration. « Il n’y a pas été question de combien, de comment, ça s’est fait, c’est tout » rapporte l’étudiant aixois. Beaucoup d’ukrainiens rejoignent leur famille et fuient les missiles, lancés jusqu’à Ivano-Frankisk, une ville à 250km de Cluj.
Sur le quai de la gare, la résilience des réfugiés le marque : « les gens sont stoïques, il n’y en a pas un qui pleure, qui se lamente ». Leur état d’esprit se résume selon Christophe par le terme russe mougik, difficile à comprendre pour les européens de l’Ouest, « une sorte de tristesse bienheureuse ». Il raconte : « Un blond aux yeux bleus de huit ans m’a regardé fixement pendant deux minutes. Puis, sans me quitter du regard, il m’a montré les briques de jus […] je lui en donne quatre ou cinq, il compte, et m’en redonne une parce qu’ils n’étaient que trois enfants, j’ai trouvé ça adorable ». Il ajoute : « un homme qui voulait se rendre en Bulgarie était gêné de ne pas payer le train, droit accordés aux réfugiés comme lui. Il cherchait dans son sac vêtement ou argent, ils ne veulent pas faire l’aumône ».
En réalité, la vie de Christophe n’a pas trop changé. A part la montée des prix et quelques coupures d’électricité, il est dans un état d’esprit calme et réfléchi. « Le seul truc à faire est d’aller prier pour les Ukrainiens, d’aider à son échelle » confie-t-il.
« J’ai l’impression que les gens en France sont plus inquiets qu’ici ». Les messages de soutien qu’il reçoit, les mails de Sciences Po Aix lui demandant s’il ressent un « sentiment d’insécurité » le font sourire. « Je n’ai pas envie de dire que je suis Rambot, je n’ai pas touché d’AK47, on n’a pas passé la frontière ».
Contrairement à ce qui lui a été proposé par l’administration de l’école française, il ne rentrera pas, à moins que la situation ne change, chose qu’il n’écarte pas. « Le seul truc dont je suis assuré aujourd’hui, c’est qu’un jour je crèverais » exprime-t-il cyniquement.
Mathis Nicod